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Catégories : Si Bolbec m'était conté

« Gouverner, c’est paraître » affirme Jean-Marie COTTERET, universitaire, spécialiste de la communication politique. La IIIe République illustra la première cette phrase, à l’image d’un Sadi CARNOT, élu Président et  désireux de paraître en politique, souhaita « se mettre en communication avec le peuple ». Cette pratique de voyage en province se mit en place, devenant même un rituel. Prenant conscience qu’il représentait la République et qu’au cours de ces voyages, il lui donnait corps, il l’incarnait pour la rendre visible aux citoyens, Félix FAURE, le comprit davantage, parcourant, durant son mandat quelque peu écourté, quarante et un départements au cours de vingt voyages officiels. Elu le 17 janvier 1895, son premier voyage se passa en Normandie où il avait effectué ses débuts en politique et où il revenait parmi ses électeurs pour leur manifester sa sympathie.

Le mardi 16 avril 1895, le Président quitta l’Elysée et gagna la gare St Lazare pour la Normandie.  Après les discours et la cérémonie protocolaire, le train s’ébranla  pour faire halte à Rouen. Le 17, le train repartit pour Barentin, Pavilly puis Yvetot. A chaque arrêt du convoi officiel, au travers de discours, de cérémonies, de visites, de remises de décoration et de bouquets, le Président de la République reçut tous les honneurs et témoigna de son attachement.

Le train fit ensuite une halte à Bréauté-Beuzeville, où, après les discours de bienvenue prononcés par les maires de Bréauté et de Goderville et le curé de Bréauté, Félix FAURE remonta dans son wagon. Le train se dirigea alors vers la gare de Bolbec, point de départ d’une promenade en voiture hippomobile. Pour bien marquer le véritable but de son voyage, Félix FAURE avait en effet eu l’idée de cette promenade en voiture, lui permettant de visiter toute son ancienne circonscription, en allant au devant de ses électeurs trop éloignés d’une gare de chemin de fer pour venir le saluer.  Sur le quai de la gare, le Président fut accueilli par le maire de Bolbec, M. Jules PASSAS. Les réceptions officielles devant avoir lieu à l’Hôtel de Ville, Félix FAURE monta aussitôt dans son landau attelé à la d’Aumont (attelage à quatre ou six chevaux qui n’utilise pas de cochers mais des postillons montés). Le maire de Bolbec prit place dans la même voiture. Le cortège démarra, escorté par un peloton du 12e Chasseurs.

Avant de s’engager dans la ville, la suite présidentielle passa sous un superbe arc de triomphe au-dessus duquel était placé le blason de la ville avec ses trois navettes. Sur le fronton était inscrit « Hommage de la ville à Félix FAURE ». Le cortège s’arrêta alors pour visiter l’usine du Val-Ricard, juste à l’entrée de la cité. Les ouvriers de l’établissement, groupés dans la cour, firent un accueil chaleureux au Président qui fut reçu par leur patron, M. Georges LEMAITRE. Quatre jeunes filles, Melles GUEROULT, GRISEL-VATINET, BONNET et HEUZE, tenant des drapeaux français et russes, symboles de l’Alliance (Félix FAURE contribua au rapprochement franco-russe), offrirent un superbe bouquet, au nom des ouvriers du Val-Ricard.

La visite terminée, Félix FAURE remonta dans son landau et pénétra dans la ville. Il put alors jouir d’un spectacle magnifique : les oriflammes tendus au dessus des rues et les drapeaux, placés au sommet des mâts plantés tout au long du parcours, claquaient au vent, les fenêtres étaient pavoisées, les cloches de l’église sonnaient à toute volée et les fanfares jouaient la Marseillaise. Les voitures passèrent à nouveau sous un arc de triomphe orné des produits de l’industrie bolbécaise et un peu plus loin, sous un portique composé d’agrès de gymnastique où il était écrit « Honneur à Félix FAURE ». Une jeune fille, placée à son sommet, était accompagnée de deux gymnastes, le clairon aux lèvres. Tous les membres de la société de gymnastique étaient suspendus en grappes sur toute la hauteur de cet édifice quelque peu original.

A l’arrivée sur la place Desgenétais, le Président put, depuis son attelage, contempler un ravissant tableau où tous les enfants, garçons et filles des écoles de Bolbec, laïques et confessionnelles, étaient groupés sur les marches de l’église. Environ un millier d’enfants, agitaient là leurs drapeaux tricolores et russes en criant « Vive Félix FAURE ». Le Président descendit de voiture pour recevoir les bouquets qui lui étaient offerts au nom de tous ces enfants et écouter les compliments récités par un garçon et une fille représentant toutes les écoles.

On arriva enfin à la mairie où M. PASSAS prononça une allocution. Félix FAURE y répondit et les réceptions continuèrent ensuite dans l’ordre suivant : Président du Consistoire, le conseil municipal, les maires et adjoints du canton, les représentants de la Chambre de Commerce, de la Justice de Paix et du conseil de Prudhommes, le commissaire de police,  Les ministres des cultes catholique et protestant, les fonctionnaires et officiers ministériels, les officiers des Sapeurs-Pompiers, les membres du bureau de Bienfaisance, de l’hôpital Fauquet, le syndicat de la rivière, le corps enseignant, une délégation de la Caisse d’Epargne. Après le discours de Georges LEMAITRE, président de la Chambre de Commerce, le Président remit les Palmes Académiques au docteur Georges AUGER, médecin cantonal des épidémies et inspecteur médical des écoles. Il se rendit ensuite dans la cour pour saluer de nombreux représentants des associations, cercles et sociétés de la ville. Il remit ensuite des médailles d’or et médailles du travail à de nombreuses personnes. Parmi les personnes présentes, le premier Magistrat de la France reconnut en l’un des anciens combattants, M. LIOT, son ancien brosseur (ancien soldat attaché à un officier en  tant que domestique) auquel il serra la main.

Félix FAURE quitta ensuite Bolbec pour poursuivre son périple faisant ainsi halte à Gruchet-le-Valasse, Lillebonne, Tancarville, La Cerlangue, Saint-Romain, Gainneville, Montivilliers où il prit de nouveau le train pour Le Havre, terme de son voyage en Normandie. Il partit ensuite vers Trouville.

Le départ du Président de la République de Bolbec n’empêcha pas la fête de se poursuivre l’après-midi où, après un lunch offert aux enfants de la ville sous la Halle au blé, les sociétés de musique entamèrent une série de concerts. A 17 heures, la population se rassembla place Carnot pour assister à l’envol d’un ballon quelque peu particulier, un « aérocycle rotateur » piloté par son inventeur, M. GILBERT. A partir de 20 heures, des fontaines lumineuses illuminèrent la place et à 21 heures un grand feu d’artifice fut tiré place du Champ de foire (boulevard Passas). La journée de fête se termina par des bals publics et gratuits organisés sur la place de la Halle (place Félix Faure actuelle), sur la place Carnot et dans la rue Pierre Fauquet-Lemaitre.

© Bolbec, au fil de la mémoire