Vous êtes ici : Accueil » MA MAIRIE » PUBLICATIONS » #20 Les cités ouvrières de Bolbec

Catégories : Si Bolbec m'était conté

Au XIXe siècle, l’industrialisation très rapide amène dans les villes un grand nombre de campagnards Ce phénomène est amplifié par une soudaine croissance démographique. Les industriels n’ont d’autre choix que de fournir à leurs ouvriers un grand nombre d’abris rudimentaires au plus près des centres de production. Des logements  pour les masses sont alors construits sans qu’une grande attention soit apportée au système sanitaire, aux égouts, à l’eau courante, à la lumière et à l’air frais. On suit en cela l’exemple anglais avec la construction des back to back housing, maisons à une pente accolées  dos à dos. Avec une seule façade éclairée et trois murs aveugles, elles étaient réputées pour être insalubres.

Vers la fin du XIXe siècle, avec un certain nombre de médecins qui dénoncent la misère des sites industriels, un mouvement hygiéniste prend de l’ampleur dans le souci d’améliorer les conditions des classes ouvrières, mouvement auquel viennent s’intégrer les protagonistes d’une vision socialiste de la société et les utopistes de l’urbanisation sociale.  A la suite de deux nouvelles épidémies de choléra en 1848 et 1851, les classes dirigeantes vont œuvrer pour le logement des ouvriers. Napoléon III a sa part dans cette prise de conscience. Il veille à l’exécution de la loi du 13 avril 1850 concernant l’hygiène publique.  Il facilite certaines réalisations qui se proposent de résoudre le problème des taudis. Lors de l’Exposition Universelle de Paris en 1878 des logements modèles à l’usage des classes ouvrières sont présentés.

C’est ainsi qu’un architecte Bolbécais, Léopold SORIEUL, va présenter à cette exposition deux modèles de maison. Le premier type à un seul rez-de-chaussée contient une pièce de 3m40 sur 3,  une autre servant de salle à manger de 3m46 sur 2m10, deux chambres  de 3m63 sur 2m40 et un cellier pour le cidre, le bois et les provisions.

L’autre type est à rez-de-chaussée et étage et contient, en bas, une pièce de 4m50x3m20, à usage de cuisine et de chambre à demeurer, une petite salle de 2m80x2, une chambre de 2,50mx2m80 et, en haut, deux chambres de 4m50x2,80 et 3m60x3m,20. Derrière la maison, se trouve le cellier de 6mx2,50 et le cabinet.

A la suite d’une conférence de Jules SIEGFRIED, conseiller général du canton de Bolbec, les principaux industriels de la ville se réunissent  pour rendre plus facile l’accession à la propriété de leur ouvriers. En 1878, ces manufacturiers décident de créer la « Société des Cités Ouvrières de Bolbec ». Messieurs Eugène LEMAISTRE et Alfred FAUQUET-LEMAITRE se révèlent être les principaux promoteurs de cette société qui se trouve être la seconde créée en France après celle de Mulhouse.

Cette société se donne pour objectif de créer des maisons d’habitation d’ouvriers et de les vendre ensuite, payables par annuités qui comprennent les intérêts et l’amortissement. Il s’avère que l’intérêt n’étant pas très élevé, l’annuité n’est pas beaucoup plus coûteuse qu’un loyer, ce qui permet à l’ouvrier de posséder une maison entièrement payée au bout de quelques années et représentant un pécule non négligeable. Le loyer de la maison de type 1, amortissement en 14 ans compris, est de 230 francs par an soit 19,15 francs par mois. Celui de la maison de type 2 à étage, se monte à 320  francs pour la même période soit 26,25 francs par mois.

Il reste des traces de ces constructions ouvrières dans la ville. Ces anciennes cités ouvrières de Bolbec n’ont pas été toutes construites sur les deux modèles  vus plus haut. Dès 1877, Eugène LEMAISTRE propriétaire de la manufacture du Val-Ricard située à l’emplacement des immeubles actuels du même nom, rue Jacques Fauquet, en avait déjà créé une. Elle présente un caractère particulier car elle forme un demi-cercle en retrait de la rue Jacques Fauquet dont elle est séparée par un passage couvert qui faisait face à l’usine. Des logements mitoyens sont situés à l’étage, au-dessus des remises et des écuries utilisées par l’usine. Les logements étaient occupés par les palefreniers afin qu’ils soient jour et nuit à proximité des chevaux.

La cité dite de « l’usine à gaz », en bordure du passage de l’Ente, entre la rue Edouard Dupray et la rue de l’Ente ou encore rue Eugène Lemaitre, est l’archétype du modèle de type 1 conçu par Léopold SORIEUL. Ce modèle a évolué pour donner des maisons avec un toit plus pentu pour permettre la création d’un mini étage servant de grenier ou de petite chambre. On découvre ce type de maison à l’extrémité de la rue Fontaine-Martel côté gauche en allant vers les fermes de Fontaine avec six maisons. Ces maisons n’ont pas subi de modifications essentielles par rapport au plan initial. En haut de la rue Fauquet-Fichet, face à la Cavée, deux maisons témoignent d’une autre évolution, toujours dans la continuité du modèle originel avec ici des toitures un peu surélevées au dessus de chambres mansardées aux hauts de fenêtre arrondis.

Rue Pierre Fauquet-Lemaitre, en face de la piscine, construite à la place des anciens établissements Fauquet-Lemaitre, s’alignent en bordure de trottoir les maisons d’une cité ouvrière comprenant trois maisons isolées destinées aux contremaîtres et quatre mitoyennes pour les ouvriers. Couvertes de tuiles, elles sont toutes à un étage avec  façade en pignon et construites en briques et gros cailloux, celles des contremaîtres étant égayées d’un enduit beige entre les parements de briques. Au bord de la rue, une petite construction isolée servait de buanderie collective. La succession des toits en dents de scie des maisons mitoyennes rappellent les toitures à shed des usines textiles.

Avenue Louis Debray et rue Edouard Debray, à proximité du supermarché installé à l’emplacement de l’ancienne manufacture Debary, ont été construites  à la fin du XIXe siècle, deux cités du même nom. Les constructions réalisées sur le plan de type 2 vu plus haut se distinguent, à l’exception d’une seule, par le fait qu’elles sont jumelées, n’ayant pas leur façade en pignon. On trouve également ce type de maisons rue Azarias Selle.

Rue Edouard Debray, à gauche en allant vers la Fontaine-Palfray, une deuxième cité se compose de huit maisons, une double puis une quadruple et enfin une autre double, plus étroites que les précédentes mais plus hautes d’un étage et construites en parpaing imitant la pierre. Près de ces cités, deux villas étaient destinées l’une au directeur de l’usine, à l’angle de l’avenue Debray et de la rue Debray-Caron, et l’autre, plus cossue, la villa « Suzette » au manufacturier lui-même. Les maisons des contremaîtres, quant à elles, ont été détruites en même temps que  l’usine lors de la création du supermarché.

La cité ouvrière du Mont de Bolbec appelé aussi cité Manchon-Lemaitre comprend une trentaine de maisons individuelles en bordure de s rues des Dahlias, des Lilas et des Hortensias. Construites en 1887, ces petites maisons basses associant elles aussi briques et cailloux,  couvertes de tuiles font face à une rue dont elles sont séparées par un jardin et sont adossées à une autre par leur dépendance contigüe au logement. Cette disposition évite aux maisons d’être face à face et permet à toutes de bénéficier de la même exposition au sud. En 1907, en complément de cette cité, a été aménagée par le manufacturier Georges LEMAITRE une école maternelle appelée « Elisabeth, en mémoire de sa fille, école qui a fonctionné pendant un peu plus d’un siècle.