#19 La poste aux chevaux à Bolbec
Catégories : Si Bolbec m'était conté
Le système de poste à relais, système qui consiste à faire voyager une personne ou une nouvelle le plus vite possible grâce à des relais de chevaux installés à intervalles fixes, apparaît pour la première fois en France au temps de la Gaule romaine. Au début de notre ère, l’empereur Auguste développe à travers tout l’empire romain le « cursus publicus », service de transmission rapide de messages administratifs basé sur la création de routes équipées de relais où des chevaux sont mis à la disposition de tabletiers ou de messagers. Stratégique pour les liaisons entre l’empereur, l’administration des provinces romaines et les unités militaires, ce service prend rapidement de l’importance et assure la circulation des correspondances d’état, des personnalités officielles et des impôts perçus. Les particuliers ne peuvent toutefois en faire usage qu’avec une autorisation écrite, rarement accordée.
Quelques siècles plus tard, selon les chroniques du moine de Saint-Gildas, « Charlemagne, le grand empereur à la barbe fleurie », avait fait réparer les anciennes voies romaines sillonnées par les courriers d’étape en étape, de relais en relais. » Mais à sa mort, le service périclite, faute de pouvoir central, et un long sommeil engourdit alors le royaume de France. Il faut attendre Saint Louis pour revoir des messagers sillonner le pays. Les messagers de ville vont à pied tandis que rois et grands seigneurs ont recours à des « chevaucheurs ou galopins ». Ces derniers sont porteurs de lettres mais ils sont aussi ambassadeurs de leur maître, ce qui leur confère une dignité, d’autant qu’ils chevauchent. Mais il s’agit là d’une multitude de petites liaisons sans aucune interconnexion, correspondant à des groupements d’intérêt de la société (groupements religieux, féodaux, commerciaux ou universitaires) qui se superposent les uns aux autres sans jamais se complémenter.
C’est la volonté réorganisatrice du roi Louis XI qui va tirer le pays de sa léthargie. Après les désordres de la Guerre de Cent Ans, il a besoin d’un système rapide de transmission des nouvelles et des ordres. Attentif aux affaires, il veut tout connaître et être au courant de tout et plus particulièrement des manigances de son rival, le duc de Bourgogne. S’il n’en est pas l’inventeur, Louis XI est le véritable organisateur de la Poste aux chevaux. L’édit de Luxies (près de Doullens) daté du 19 juin 1464, fixe qu’«en toutes les villes, bourgs, bourgades et lieux que besoin sera jugé plus commode, un nombre de chevaux courants de traitte en traitte par le moyen desquels ses commandements puissent être promptement executez et qu’il puisse avoir nouvelles de ses voisins quand il voudra ». Des chevaucheurs sont ainsi employés sur trois routes partant de la ville de Tours. A la mort de Louis XI , les chevaucheurs sont 234. Les maîtres coureurs sont établis de quatre lieues en quatre lieues sur les grands chemins pour entretenir quatre ou cinq chevaux.
Bientôt les chevaucheurs du roi acceptent de « faire courre les lettres et les paquets » du public, en toute illégalité. Le roi Henri IV, conscient que ce service clandestin correspond à une nécessité, nomme Fouquet de la Varenne contrôleur général et le charge de mettre au point une organisation officielle. En 1603 les « courriers » remplacent les chevaucheurs et en 1608 le contrôleur général devient « général des postes ». Le premier tarif postal date de 1627 mais c’est le destinataire qui paie le port de la lettre. La première carte des routes de poste est éditée en 1632 (623 relais). Louis XIV s’intéresse ensuite au pactole qu’engendre l’administration des postes et relais. Louvois achète la charge d’intendant général des postes et relais puis réorganise le service. Il applique aux postes le système général des Fermes qui substitue la monarchie à l’anarchie dans un service qui rémunère 754 maîtres de poste. Ce système, avec quelques réajustements, perdure jusqu’à la Révolution.
Dans la nuit du 4 août 1789, tous les privilèges sont abolis ; ceux des maîtres de poste suivent ceux de la noblesse et du clergé. Par un décret du 19 juin 1790, les gages des maîtres de poste et leurs indemnités sont supprimés. Une grande partie d’entre eux abandonnent leur relais. Après divers essais de réorganisation, la loi du 9 décembre 1798 fixe la nouvelle législation de la poste aux chevaux et définit nettement son rôle et son organisation. Le monopole des relais est même renforcé par la loi du 16 mai qui fixe les indemnités à verser aux maîtres de poste par les entrepreneurs de voitures publiques et de messageries qui n’utilisent pas les chevaux de la poste. Ce principe sera confirmé par Napoléon en 1806 et sera conservé jusqu’à la disparition de la poste aux chevaux.
Avec l’arrivée du chemin de fer privant de clientèle non seulement les maîtres de poste mais aussi les entreprises de messageries, les relais de poste situés sur les itinéraires correspondants périclitent ou même disparaissent. Le 4 mars 1873, Léon Say, ministre des finances du gouvernement Thiers, supprime le dernier relais, celui de Paris, conservé par l’empereur Napoléon III pour ses déplacements à Saint Cloud et devenu inutile. Ainsi va disparaître une institution vieille de trois siècles, riche à son apogée en 1838 de 1500 relais , 20 000 chevaux et 5000 postillons répartis à travers toute la France.
La création d’un relais de poste aux chevaux à Bolbec est la conséquence de l’ouverture de la route royale Rouen – Le Havre décidée en 1750 et approuvée en conseil du roi en 1754 sur un tracé établi en 1758. Comme l’atteste l’extrait ci-contre de la liste générale des postes de 1718 , la précédente route de Rouen au Havre ne passe pas à Bolbec mais au hameau des Forges à Saint Nicolas de la Taille, suivant en cela l’ancienne voie romaine qui menait de Lillebonne à Harfleur. Encore en 1686, il n’y circulait entre Rouen et Le Havre qu’une charrette de messager, couverte d’une toile et qui n’était « ni honnête ni commode » comme le souligne un Contrôleur général de cette époque.
Le premier passage des Ponts et Chaussée à Bolbec pour la construction de la route, nous est révélé par un procès-verbal établi en 1758 par le sieur BLOT, géographe. Ce document est complété par celui de l’ingénieur DUCHESNE daté de 1764. Le sieur DUBOIS est Ingénieur en chef des Ponts et Chaussées de la Généralité de Rouen de 1752 à 1774. C’est lui qui a proposé et dessiné le parcours de la route de Rouen au Havre. Les « piqueurs », « porte-chaîne » et autres « manœuvres » sont embauchés sur place au gré du chantier et ne font pas partie du personnel de cette institution. Ces deux procès-verbaux correspondent aux deux premières étapes avant la construction de la route à savoir le relevé topographique du terrain puis le relevé topographique de la route, son mesurage et son tracé sur le terrain.
Suite au nouveau tracé de la route royale Rouen—Le Havre , le relais de poste du hameau des Forges à St Nicolas de la Taille est transféré à Bolbec. Il existe toutefois une ambiguïté : Charles Blondel, jusque là maître de poste aux Forges devient maître de poste à Bolbec mais son brevet lui est attribué comme maître de poste à Lanquetot. Aucun document ne parle du relais de poste de Lanquetot. Sans doute faut-il en conclure que le brevet de Charles Blondel lui est attribué à Lanquetot puisqu’il était Lanquetotais, commune où il a été enterré le 25 octobre 1774. Ceci est corroboré par le fait que, après sa mort et un intérim d’un an de sa veuve, son gendre J. B MAUGENDRE devient maître de poste à Bolbec alors qu’à l’état-civil il apparaît comme maître de poste à la Mare Carel à St Eustache la Forêt.
Quand le relais de poste est créé à Bolbec en 1768, la ville commence à se reconstruire après l’incendie qui l’a ravagée en 1765. Charles Blondel éprouve des difficultés pour trouver un local conséquent, comme le prouve la lettre du 2 février 1769 écrite par l’Intendant des postes et relais et adressée au syndic de Bolbec : « la poste a été placée à Bolbec de préférence à tout autre endroit à l’effet de procurer l’avantage à ce bourg. Malgré ses soins, le sieur Blondel n’a pas encore trouvé de logement convenable pour son service, il ne dispose que des écuries pour dix chevaux et qu’une chambre pour ses postillons en un endroit proche de la route royale ». Cette lettre ne précise pas l’emplacement du relais de poste mais la base « Mérimée » du Ministère de la Culture le situe au 10 cour Ruffin en précisant qu’il a été construit au XVIIIe siècle mais qu’un puits et une charretterie figurant au cadastre de 1822 sont aujourd’hui détruits. La situation de ce relais et son descriptif correspondent à la description sommaire de l’Intendant des postes.
Actuellement, à cet emplacement, comme seuls témoignages de son ancienne utilisation, on peut voir encore, dans l’entrée couverte et la cour intérieure, les anneaux pour attacher les chevaux, les dalles de pierre et les pavés au sol, et sur la porte cochère les enfoncements provoqués par les moyeux des malles-poste ayant pris leur virage trop court. Les postillons couchaient dans la chambre au-dessus de l’entrée accessible par une galerie et prenaient leur repas dans une auberge située à une centaine de mètres.
Il semble que, bien qu’à l’étroit cour Ruffin, Charles Blondel et ses successeurs aient dû s’en contenter jusqu’en 1818 où, en fin d’année, le relais est transféré au 20 rue Jules Grevy. Cette précision nous est donnée par la base « Mérimée » du Ministère de la Culture. Des locaux plus importants s’imposaient d’autant que les besoins en chevaux et en postillons croissaient à cette époque comme le montrent les rapports d’inspection annuels concernant le relais « d’Aliquerville », le plus proche de Bolbec sur la route royale Rouen Le Havre et où l’importance du trafic était moindre puisque, d’après les livres de postes de l’époque, le relais de Bolbec desservait aussi la route Le Havre Dieppe et la route Le Havre Caen.
L’ancien relais de poste de la rue Jules Grevy comporte un logis daté de la première moitié du XIXe siècle, en brique enduit faux appareil avec pilastres, bandeaux et corniches moulurées. Les écuries et remises datées de la seconde moitié du XIXe siècle sont en assises alternées de silex et brique avec occuli ; le cellier sous la cour ouvre dans le mur de soutènement et donne sur la rue.
Au milieu du XIXe siècle, l’ouverture de la ligne de chemin de fer Rouen—Le Havre met fin à la poste aux chevaux mais pas au transport hippomobile puisqu’elle permet la création de services de diligence entre le centre-ville et, dans un premier temps la gare de Bolbec Nointot puis celle de Bolbec avant que les chevaux-vapeur remplacent définitivement les chevaux.
Le café des Omnibus, puis Grand Café puis le XV puis le Rendez-vous, rue Jacques Fauquet, doit son nom aux omnibus hippomobiles faisant le service de la Compagnie des Chemins de fer de l’Ouest en desservant les gares de Nointot et Bolbec-ville.