La riche histoire du Temple protestant
Dans la rue Pasteur, un bâtiment retient l’attention. Avec ses colonnes et sa stature de temple antique, il serait difficile, pour l’œil peu exercé, d’identifier le monument sans cette inscription gravée sur son fronton : “église réformée de France”. Son intérieur, imposant de solidité mais chaleureux, constitue un ensemble tout aussi massif dont l’aménagement a évolué et changé au cours des siècles, un aménagement historiquement dépendant de ceux qui l’ont construit.
Une situation risquée pour les protestants
Le protestantisme étant durement réprimé tout au long du XVIe siècle, son culte dans les alentours de Bolbec s’exerce d’abord dans le cadre familial et privé, sans lieu spécifique défini. De nombreux Bolbécais quitteront même le pays pour fuir certaines menaces et pour pouvoir pratiquer pleinement leur foi en Angleterre ou en Hollande.
En 1578 et en 1581, deux temples voient finalement le jour, respectivement au Montcriquet, à Saint-Jean-de-la-Neuville, et à Lintot. Néanmoins, après la fin des guerres de religion et un certain calme au début du XVIIe siècle, la méfiance reprend du côté du pouvoir et les bâtiments sont fermés. Le parlement de Normandie exige la fermeture du temple du Montcriquet en 1639 et la démolition de celui de Lintot en 1681. Les protestants doivent retourner célébrer leur culte dans un cadre restreint, dans leurs habitations.
Il faut attendre le XVIIIe siècle et plus précisément 1787 et 1789, dates de l’édit de Tolérance et de la révolution, pour que l’idée d’un lieu dédié spécifiquement à cet exercice, inenvisageable sous les guerres de religion, devienne progressivement un projet sérieux.
La construction du temple
En 1791, Jean Guimard, protestant réfugié à Londres, lègue à son gendre, M. Beuzeville, par testament, une somme d’argent nécessaire à l’édification d’un temple à Bolbec. Des propriétaires proposent leurs terrains et le 31 janvier 1792, le consistoire, l’organe administratif du culte protestant, choisit un emplacement rue d’Orteuil, actuelle rue Pasteur. Les travaux peuvent enfin commencer et prendront fin, avec un certain retard dû aux troubles causés par la Terreur, en 1797 avec un premier culte célébré à Noël de cette même année. Le temple présente la matérialisation d’une réussite à perdurer malgré les épreuves. Après 260 ans de cérémonies intimes ou cachées, les protestants ont enfin un lieu de culte.
Zoom sur Guillaume de Félice (1803-1871)
Le lien entre protestants et pouvoir en place ne s’arrête cependant pas là, surtout pour Guillaume Adam de Félice. Arrivé à Bolbec en 1828, le jeune homme de 25 ans a été sélectionné pour devenir pasteur parmi 17 candidats, ce qui indique par ailleurs la réputation dont jouit alors l’église réformée de la ville. Il occupe cette fonction jusqu’en 1839 mais il conservera toute sa vie le combat qu’il développe lors de son séjour à Bolbec.
En effet, proche du port négrier du Havre, Guillaume de Félice prend conscience de la traite et commence à militer contre l’esclavage, une lutte qui fait naître en 1846 une pétition abolitionniste, deux ans seulement avant la révolution de 1848 et la fin effective de l’esclavage en France.
L’orgue de Cavaillé-Coll
Durant ses années en tant que pasteur à Bolbec, le maire de la ville, Jacques Fauquet-Pouchet, évoque l’idée de l’obtention d’un orgue pour soutenir et diriger le chant sacré. Cette proposition de 1837 pousse le consistoire à s’intéresser au sujet mais elle ne sera pas mise en application car trop onéreuse et trop lourde de travaux.
Il faut attendre mai 1852 pour qu’un orgue construit par la maison Cavaillé-Coll soit installé dans une tribune spécialement édifiée. En 1957, l’électrification de l’instrument, qui permet de ne plus avoir à pomper derrière l’instrument pour fournir de l’air à la soufflerie, le modernise.
Le fronton et les cloches
En 1850, Jacques Fauquet-Pouchet propose de prêter l’argent nécessaire à la construction d’une galerie sur la grande porte, mesure qui fait partie d’un ensemble de décisions voulues par l’église pour reconfigurer l’intérieur du bâtiment et qui, finalement, ne seront effectuées que partiellement. C’est en 1877 que le projet portant sur la porte d’entrée est examiné et que le portique en colonnes, une bible ornant son fronton, est mis au jour. Dans le style classique de la IIIe République, il est censé donner un aspect monumental à la dignité du culte. Si l’élément donne une impression d’antiquité, il est en réalité récent.
Le Temple renferme également un autre objet surprenant, caché, pas aussi imposant que le portique mais, pourtant, très intéressant : une de ses cloches. En 1941, le pasteur Auguste Carpentier hérite de trois cloches. Il décide d’en offrir une au Temple. Chargées d’histoire, les trois cloches sont issues du domaine de Maréfosse, dans la commune de la Remuée, où elles sont restées pendant environ 250 ans. Elles auraient servi à faire converger les huguenots des alentours lors des réunions du culte dans les souterrains du lieu.
Installée dans la partie supérieure du péristyle, elle rappelle le passé des protestants du pays de Caux. L’histoire est donc entrée dans l’objet de la même manière que la survie du culte s’est matérialisée dans le Temple.