La bibliothèque patrimoniale : une exception culturelle bolbécaise
La bibliothèque patrimoniale constitue un espace à part de la mairie de Bolbec, où dorment, bien cachés, des trésors insoupçonnés. Les armoires gigantesques, qui tapissent les murs de leurs 3700 ouvrages, toisent immuablement visiteurs et lecteurs depuis 180 ans. Les inscriptions d’or sur les meubles sont là pour le rappeler : « Mr. Fauquet-Pouchet, maire, fonda cette bibliothèque en mars l’an MDCCCXXXIV ».
Pourtant, s’il s’agit bien des meubles d’époque, historiquement présents depuis la création de la bibliothèque, cette dernière ne s’est pas toujours trouvée ici. De nombreux évènements ont contribué à l’inscrire au deuxième étage de la mairie.
La création d’un espace pour l’éducation de la jeunesse
Au cœur du projet figure donc en premier lieu le maire Jacques Fauquet-Pouchet qui, dès 1833, annonce « établir une Bibliothèque publique » qui « pourrait répandre beaucoup de bien et serait d’une grande ressource pour la jeunesse studieuse ». Pour ce faire, il se charge lui-même du financement et d’un premier don d’environ 900 ouvrages. Le 19 février 1833, le maire ajoute que la bibliothèque s’installerait au deuxième étage de la halle à l’avoine, alors en construction, qui prolonge la mairie de l’époque, située place du marché, actuelle place Charles de Gaulle. La décision est approuvée. L’histoire de la bibliothèque commence.
Il faut tout d’abord la garnir d’ouvrages, composer un catalogue et établir un règlement. Ce dernier est mis au point le 4 mars 1834 et, outre certaines mesures compréhensibles ou nécessaires, notamment l’interdiction du prêt et d’écrire sur les ouvrages, d’autres composent en parallèle l’image d’une époque différente, comme celle imposant un critère d’âge et de tenue correcte : « Les jeunes gens ayant moins de seize ans ne seront pas admis, non plus que les hommes qui ne seraient pas décemment vêtus ».
Inaugurée peu après, le 11 mars 1834, et ouverte dès le lendemain, la bibliothèque doit encore obtenir une forme de légitimité, d’une part pour attirer des lecteurs sérieux, d’une autre pour éviter le rachat de sa collection par un acteur privé. Il faut donc acquérir des ouvrages et, mieux encore, des ouvrages rares.
Les trésors cachés de la bibliothèque
Dès l’année de son ouverture, la bibliothèque parvient à obtenir de nombreux ouvrages précieux. Ainsi la très rare Description de l’Egypte s’ajoute-t-elle à la collection publique. Suite d’ouvrages illustrés, elle est le fruit du travail des scientifiques accompagnant Napoléon lors de sa campagne d’Egypte, entre 1798 et 1801. La Ville ne compte cependant pas s’arrêter sur cette acquisition.
En effet, en 1841, elle parvient à récupérer de la bibliothèque même du Louvre, Les Galeries historiques de Versailles de Charles Gavard.
À l’aide de députés locaux et de connaissances royales au Louvre, Bolbec réussit donc à réunir des ouvrages précieux qui fondent, déjà, une forme de prestige culturel municipal.
Acquisitions et problèmes de place : un tournant en 1880 / zoom sur Albert Leroy, conservateur
Si en 1835 les armoires sont pleines de 1361 ouvrages, elles en comportent près de 2200 en 1853, une prise de poids nette mais qui s’accompagne de problèmes logistiques. Ce qui pousse, en réalité, Victor Lequesne, conservateur de la bibliothèque d’alors, à débuter un nouveau catalogue, c’est avant tout le trop grand nombre d’ouvrages et le manque de classement, qui résultent en un débarras de livres empilés sans ordre ni cohérence.
Le problème atteint son paroxysme en 1880. Depuis 1853, aucun nouveau catalogue n’a été effectué et ce malgré la recommandation d’un rapport de 1873 faisant état de livres mal entretenus et du désordre du lieu.
Le 1er avril 1880, Albert Leroy, après onze ans passés au secrétariat et aux archives de Rouen, est nommé secrétaire en chef et conservateur de la bibliothèque à Bolbec. Désireux de commencer un catalogue, il est confronté au mauvais état du lieu. Il écrit, à l’adresse du conseil municipal : « … j’étais peiné de voir le désordre qui régnait dans ces armoires, où dans quelques-unes, les livres étaient jetés pêle-mêle, avec des imprimés nécessaires au service, et sans que les planches destinées à soutenir ces livres soient même placées sur leurs tasseaux, mais il me fallait faire face au plus pressé et déblayer également des tas de dossiers encombrant le bureau ».
Il passe l’intégralité de ses vacances à ranger et à classer les ouvrages de la bibliothèque. Il apporte en réalité, dans sa plainte, une justification du retard dans son travail et demande des manuels relatifs à l’entretien du lieu et des œuvres d’écrivains manquantes ou dont les ouvrages ont été mal conservés. La note est prise en compte.
Dès 1880, la prise en main devient plus assidue, plus professionnelle.
D’une seule à plusieurs bibliothèques
Entre 1847 et 1888, plusieurs bibliothèques ou lieux de lecture voient le jour à Bolbec. Néanmoins, la bibliothèque publique les dépasse tous en nombre d’ouvrages possédés. En 1889, ses armoires comprennent 3400 volumes, beaucoup plus que les 1660 ouvrages de la bibliothèque de la ligue d’enseignement, qui dispose pourtant du plus grand nombre de lecteurs dans le secteur.
Néanmoins, les deux établissements n’attirent pas le même lectorat. Si l’une plaît aux lecteurs de romans, la bibliothèque de Fauquet-Pouchet est consultée pour ses ouvrages de poésie ou bien ceux portant sur l’histoire et les voyages. C’est un lieu qui, explicitement, se démarque des bibliothèques dites populaires, que ce soit la bibliothèque protestante, catholique, ou de la ligue d’enseignement.
Une bibliothèque abandonnée puis redécouverte au XXe siècle
En 1882, la bibliothèque déménage dans un nouvel hôtel de ville, l’actuelle mairie. Installée au deuxième étage de la propriété, le poids des 3700 ouvrages provoque des fissures qui menacent la pièce située en dessous, la salle des mariages. Par conséquent, les armoires et ce qu’elles renferment sont déplacés dans la salle des archives. Sans lieu dédié, les ouvrages s’endorment jusqu’à leur redécouverte dans les années 1950.
Toutefois, malgré plusieurs tentatives de revalorisation, le système de consultation alors toujours en vigueur, c’est-à-dire sans possibilité de prêt, pousse la Ville à s’investir dans d’autres projets de bibliothèque publique. Si la bibliothèque patrimoniale est encore visible aujourd’hui, elle ne l’est cependant plus que sur demande particulière ou pour une occasion spécifique.
Aujourd’hui : une exception culturelle cauchoise
Malgré toutes les péripéties qu’elle a rencontrées, la bibliothèque patrimoniale est parvenue à conserver des trésors insoupçonnés. La description de la campagne d’Egypte ou celle des Galeries de Versailles, dont le temps n’a fait que renforcer la préciosité et la rareté, y sont encore présentes et entretenues.
Posséder de tels ouvrages est un cas de figure très peu fréquent pour une commune chef-lieu de canton puisqu’il est considéré qu’ils ne devraient appartenir qu’à des chefs-lieux de département. La bibliothèque patrimoniale est donc parvenue à conserver un héritage bicentenaire particulièrement précieux, malgré les difficultés, et donc à s’inscrire dans une forme d’exception sur le territoire cauchois.