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Catégories : Si Bolbec m'était conté

Comme nous l’avons vu dernièrement, en décembre 1870, les Prussiens occupent Bolbec. Faute de pouvoir décrocher le drapeau tricolore qui flotte sur l’Hôtel de ville, ils brûlent les étendards, dont celui des pompiers et ils mettent le feu au château de Tous-Vents. « Ils firent même feu sur les pompiers accourus et, dans la nuit, incendièrent huit maisons de Bolbec ».Dans la capitale cela ne va pas mieux non plus. Exténuée par un siège militaire de quatre mois, écrasée d’humiliation par la défaite devant les Prussiens et par l’armistice, la ville de Paris se révolte. Le 18 mars 1871, les Parisiens des quartiers Est et du Centre se soulèvent. C’est le début de l’insurrection.

La période du 1er au 20 mai voit s’affaiblir la Commune et se renforcer la position des Versaillais (soldats des troupes régulières obéissant au gouvernement Thiers installé à Versailles) qui entrent dans Paris. A l’instar des obus versaillais qui embrasent certains bâtiments officiels, des communards et des fédérés s’en prennent aux symboles du pouvoir. L’Hôtel de ville, la Bibliothèque impériale, une partie du Palais Royal, le Palais de Justice, le Palais de la Légion d’honneur, le Palais d’Orsay, la Caisse des dépôts, les archives financières du ministère des Finances… sont la proie des flammes. Un patrimoine inestimable est menacé dans une capitale assiégée, affamée, pillée et incendiée. Le 24 mai 1871, le ministre de l’Intérieur décrit la situation aux préfets et sollicite une nouvelle fois le concours des sapeurs-pompiers de banlieue et de province.

Une dépêche invite la municipalité de Bolbec « à expédier de suite sur Paris une partie de ses pompes avec un personnel capable et dévoué ». Comme il est de coutume en pareille occasion, le tocsin est sonné et la générale est battue dans le centre-ville ; la dépêche télégraphique du préfet, est lue dans la rue à la population ; c’est à la province qu’incombe le devoir de sauver Paris ! La compagnie de Bolbec est réunie sur la place du Marché par le docteur Adolphe Guillet (1833-1875), maire. Beaucoup d’hommes veulent partir, mais tous ne le peuvent pas ; il y a des contraintes professionnelles et familiales, mais surtout, la sauvegarde de la commune et de son canton. Il faut donc laisser le personnel suffisant à la manœuvre des pompes.

Un détachement de seize pompiers et de vingt-trois volontaires est alors placé sous les ordres du capitaine Auguste Desgenétais (1821-1882). Ils se joignent aux autres corps engagés afin « d’arracher aux flammes les monuments splendides et les immenses richesses artistiques qui avaient fait de Paris la capitale de la France et la première ville du monde ». Aussi, parmi les pompiers bolbécais, nous trouvons : Auguste Desgenétais, capitaine, 2 ans de service ; Gervais Pojasini (°1825), sergent-major, 12 ans de services ; Sosthène Poulingue (1815-1887), sergent-fourrier, 18 ans de services ; Victor Balley (°1828), sergent, 8 ans de services ; Jules Marette, sergent, 12 ans de services ; Émile Renard  (1827-1889), sergent, 8 ans de services ; Adolphe Rossignol (1833-1910), caporal, 8 ans de services ; Guillaume Fleury, caporal, 15 ans de services ; Édouard Leduc, tambour-maître , 33 ans de services ; Alphonse Duchêne, clairon, 2 ans de services ; Auguste Bouffay (1822-1884), sapeur, 8 ans de services ; Adrien Piolaine (1826-1888), pompier, 8 ans de services ; Louis Vincent, pompier, 8 ans de services ; Henri Bourgeais, pompier, 8 ans de services ; Jules Renard (1835-1910), pompier, 6 ans de services et Isidore Langlois (1823-1892), pompier, 2 ans de services. Casques, vareuses, ceintures de feu, pantalons, guêtres, souliers et hachettes équipent ces hommes. Ils sont accompagnés des volontaires suivants : Guillaume Baillard (1838-1914), adjoint au maire ; Eugène Valin, conseiller municipal ; Eugène Baillard, chirurgien ; Louis Morel, régisseur de biens ; Auguste Malétras ; Édouard Persac ; Charles Griboval ; Louis Hachard ; Alfred Louis Eudes ; Eugène Alleaume ; Eugène Cornière ; Élie Duval ; Eugène Rott ; Henri Leblond ; Amédée Loisel ; Gustave Anthime Boulon ; Alfred Tardif ; Eugène Duhamel ; Jacques Bouvier ; Léon Édouard Lagrue ; Jules Dieudonné Thérard ; Abraham Hachard et Ernest Bertin.

Le départ est précipité pour un périple dont le terme n’est pas fixé. La colonne se met en route, précédée par le tambour Leduc et le clairon Duchêne. Comme le précise le Journal de Rouen du 28 mai 1871 : « Aujourd’hui, sont partis de Bolbec, à deux heures après midi, 37 pompiers et habitants volontaires, avec trois pompes, afin d’aller au secours de Paris (…) ». Ils emmènent aussi une voiture de secours, des coffres et divers appareils. De grandes quantités de longueurs de boyaux et des sacs de seaux en toiles complètent les équipements. « Tous étaient dans la meilleure tenue et paraissaient pleins de courage (…). Ils portaient le sac et étaient munis de provisions de bouche, ce qui est plus utile encore que de l’argent lorsque l’on se dirige sur une ville dévastée ». Ils rejoignent la station de Bolbec-Nointot et installent les pompes et le matériel dans les wagons affrétés par la Compagnie des chemins de fer de l’Ouest.

Les sapeurs profitent d’une halte à Mantes-la-Jolie pour prendre un peu de nourriture et se dégourdir les jambes. Le convoi se remet en route et traverse ensuite la gare de Poissy. Des débris de papier brûlé voltigent de tous les côtés. Ce sont les papiers du ministère des Finances et de la Cour des comptes qui sont transportés par le vent. Au loin, une énorme colonne de fumée se dégage de Paris. Les débris s’amoncellent le long de la voie. C’est dans des circonstances particulières que les soldats du feu arrivent en gare de Colombes, Boulogne ou Versailles, dernières gares accessibles avant la capitale. Fatigués, le ventre vide, les détachements provinciaux doivent débarquer leurs lourds et imposants outils de lutte. « La lourde machine à débarquer donna bien du mal ; sans outils, sans engins appropriés, ce fut œuvre laborieuse de force et surtout d’adresse ».

Le chemin pour rejoindre le cœur de Paris est un spectacle de tristesse et de désolation. Les arbres sont arrachés, les maisons éventrées… « Ce qui est plus navrant encore, des sentinelles prussiennes (…) nous regardent passer d’un air narquois ». Ils rejoignent la capitale à pied, avec pour seul guide, les lointaines fumées. « Le canon grondait avec fureur, et chaque décharge ébranlait le sol sous nos pas ». Sur leur passage, certains habitants se découvrent et les encouragent pour les combats qui les attendent, d’autres fournissent des chevaux. Comment les Bolbécais entrent-ils dans Paris ? Par quelle porte ? Quel poste leur est assigné dans la capitale ? Mis à part ceux déjà venus au mois d’août 1870, la plupart des sapeurs-pompiers ne connaissent pas cette ville dont ils ont entendu parler ; cette capitale livrée à des combats meurtriers et à la guerre urbaine. Ils ont sans doute déjà vu des gravures représentant les principaux monuments mais parmi ces hommes, ouvriers, commerçants ou artisans, certains ne savent ni lire, ni écrire. Il est difficile d’imaginer le véritable désordre qui existe à cet instant de l’Histoire. Le canon gronde de tous les côtés, des projectiles tombent sur l’avenue de la Grande Armée et sur les Champs-Elysées. La scène qui s’offre à leurs yeux, est terrifiante. L’Arc de Triomphe est encerclé par des barricades et une batterie est installée à son sommet.

Les combats ralentissent considérablement la progression des soldats du feu ; le désordre est si grand, qu’aucune règle n’est véritablement établie. Les points d’attaque sont difficiles à trouver et les incendies sont combattus anarchiquement. Les pompes à vapeur et leurs cuivres brillants, les lanternes, la fumée et les sifflements assourdissants sont des cibles potentielles pour des mitrailleuses. Des pompiers d’Elbeuf combattent les incendies qui ravagent à la fois le ministère des Finances, et menacent le Louvre. Ils tentent aussi de protéger la mairie du Xe arrondissement et sont rapidement rejoints par leurs homologues de Vernon, Poissy, Anet, Pacy-sur-Eure, Chatou, Carrières Saint-Denis, Rouen… Non loin de là, le palais des Tuileries brûle pendant trois jours. Les obus pleuvent autour de ces hommes, qui, sans repos, sans véritable nourriture, luttent sans relâche et font de leur mieux face au formidable brasier. Place de la Concorde, un sapeur d’Evreux, attaché sous les aisselles et suspendu dans le vide, dirige le jet de la pompe sur les flammes. L’Obélisque de Louxor, qui domine à la fois l’enchevêtrement de tuyaux, les fontaines et les tritons brisés par la mitraille, semble défier le conflit.

De jour comme de nuit, les incendies éclairent la capitale. Les pompiers de Bolbec aidés par ceux de Lyons-la-Forêt, protègent ce qui reste intact des bâtiments des Tuileries. Ensemble, ils effectuent une visite générale des caves, des cours et des bâtiments de l’édifice à la recherche d’éventuels insurgés cachés. Leurs collègues de Darnétal et de Rugles combattent côte à côte près du palais de Justice et ceux de Rouen continuent le sauvetage du ministère des Finances. Quant à ceux du Havre, ils sauvent les archives de l’Assistance Publique. Le 28 mai, la pluie  abondante qui ne cesse de tomber depuis l’aube, arrête, en beaucoup d’endroits, les progrès du feu. Le travail de sauvetage arrivant à son terme, des pompiers normands s’accordent un peu de repos après cinq jours et cinq nuits de lutte. Tandis que les pompiers belges retraversent les lignes prussiennes, ceux du Havre remplacent le drapeau rouge de la colonne de Juillet par le drapeau tricolore et c’est un sapeur-pompier de Fécamp qui retire le dernier drapeau rouge flottant sur la capitale.

Le 31 mai, un correspondant du « Nouvelliste de Rouen », signale qu’il a rencontré un détachement de seize sapeurs-pompiers de Bolbec au milieu des incendies qui ont ravagé les Tuileries et le Palais Royal… « (…) accompagnés de Guillaume Baillard, adjoint au maire, ainsi que du sergent Pojasini, qui a fait preuve d’un grand courage pendant les interventions à la Bastille ». Des Parisiens qui ont soutenus les soldats du feu durant ces cinq jours, leur remettent des drapeaux tricolores brodés qui sont aussitôt attachés sur les pompes. Le départ de Paris est pénible ; c’est à pied et avec leur lourd matériel, que les sapeurs, relayés  par  les  militaires  qui  les escortent, rejoignent les embarcadères pour la Normandie. « On a beaucoup remarqué, à Paris, la bonne tenue et le courage des pompiers (…). Après avoir tant chansonné ces pauvres ‘ruraux’ et ces ‘brouteurs d’herbes’ (…), Paris a battu des mains à leur admirable dévouement. Les pompiers se sont vengés des chansons idiotes faites sur leur compte, en arrachant aux flammes ce qui restait de la capitale. Les pompiers et volontaires de Bolbec, cette fois, comme au mois d’août, ont fait preuve d’énergie et de dévouement, afin de porter secours à la ville de Paris (…) ».

Reçus dans la grande salle de la mairie par le conseil municipal tout entier, un punch d’honneur les attend. Le premier magistrat leur tient ces paroles chaleureuses : « Aux volontaires de la ville de Bolbec. Il y a huit jours, ici même répondant à l’appel qui vous était fait, vous avez en quelques heures organisé une compagnie de secours. Vous êtes partis pour Paris, commandés par un homme de cœur que nous apprécions tous et que tous, nous aimons. Vous avez fait votre devoir. Je suis fier d’être l’interprète de votre Conseil et de la population tout entière. Je vous félicite d’avoir eu l’honneur de servir notre malheureux pays. Je vous suis reconnaissant d’avoir dignement représenté la ville de Bolbec (…) ». Quant à Guillaume Baillard, qui a été témoin du travail de chacun, il n’hésite pas à faire l’éloge de ces courageux citoyens. L’oraison locale est par contre entachée par les promesses non tenues de l’État : aucune indemnisation n’est distribuée ; le gouvernement proclame que les pompiers communaux ont travaillé par pur patriotisme ! Seule l’Assemblée Nationale, vote des remerciements aux sapeurs-pompiers de province. Dans certains corps, des tensions naissent et certains hommes qui ont sacrifié une semaine de travail dans la lutte, ou se sont blessés, démissionnent. Dès le 19 janvier suivant, l’État décerne au corps de Bolbec, un diplôme de reconnaissance et la médaille d’honneur pour belles actions. Le document  est aujourd’hui fièrement exposé dans le hall du Centre de secours.

De son côté, la municipalité vote un crédit pour le renouvellement des effets vestimentaires de chaque homme du feu puis décide de remplacer l’étendard détruit par les Prussiens par un nouveau drapeau. Pour sa noble et glorieuse conduite, la compagnie des sapeurs-pompiers voit son drapeau épinglé de la fourragère tricolore avec aiguillette d’argent pour acte de courage et de dévouement. Précieusement préservés et transmis de générations en générations jusqu’à ce jour, ces deux attributs rappellent l’abnégation des soldats du feu bolbécais au cours de cette période sombre de l’Histoire !